Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/418

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Comme Rome était trop faible pour s’assimiler immédiatement ces éléments nouveaux et violents, les choses se passèrent de cette seconde manière. Les barbares renversèrent l’empire ; mais, au fond, quand ils essayèrent de reconstruire, ils revinrent au plan de la société romaine, qui les avait frappés dès le premier moment par sa beauté, et le seul d’ailleurs qu’ils connussent. Leur conversion au christianisme, qu’était-ce, sinon leur affiliation à Rome, par les évêques, continuateurs directs de l’habit, de la langue et des mœurs romaines ? L’empire, dont ils reprirent l’idée pour leur compte, qu’était-il, sinon une façon de se rattacher à Rome, source unique de toute autorité légitime ? Et la papauté, quelle est son origine, si ce n’est cette même idée, que tout vient de Rome, que Rome est la capitale du monde ? L’empire romain ne doit pas tant être considéré comme un État qui a été renversé pour faire place à d’autres, que comme le premier essai de la civilisation universelle, se continuant à travers une extinction momentanée de la réflexion (qui est le moyen âge) dans la civilisation moderne. L’invasion et le moyen âge ne sont réellement que la crise provoquée par l’intrusion violente des éléments nouveaux qui venaient vivifier et élargir l’ancien cercle de vie. Ce ne sont que des accidents dans le grand voyage, accidents qui ont pu causer de fâcheux retards, bien compensés par les inappréciables avantages que l’humanité en a retirés.

Tout ceci peut être appliqué trait pour trait à l’avenir de la civilisation moderne. Dans l’hypothèse, infiniment peu probable, où les barbares (et ces barbares, bien entendu, ne doivent être cherchés que parmi nous), la renverseraient brusquement, et sans qu’elle eût eu le temps