Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/437

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de jouissance ? Mon bonheur est aussi précieux que celui des autres, et je serais bien bon de leur en faire le sacrifice. Si je ne croyais que l’humanité est appelée à une fin divine, la réalisation du parfait, je me ferais épicurien, si j’en étais capable, et sinon, je me suiciderais.


XX


Ce serait bien mal comprendre ma pensée que de croire que, dans ce qui précède, j’aie eu l’intention d’engager la science à descendre de ses hauteurs pour se mettre au niveau du peuple. La science populaire m’est profondément antipathique, parce que la science populaire ne saurait être la vraie science. On lisait sur le fronton de telle école antique : Que nul n’entre ici s’il ne sait la géométrie. L’école philosophique des modernes porterait pour devise : Que nul n’entre ici s’il ne sait l’esprit humain, l’histoire, les littératures, etc. La science perd toute sa dignité quand elle s’abaisse à ces cadres enfantins et à ce langage qui n’est pas le sien. Pour rendre intelligibles au vulgaire les hautes théories philosophiques, on est obligé de les dépouiller de leur forme véritable, de les assujettir à l’étroite mesure du bon sens, de les fausser. Il serait infiniment désirable que la masse du genre humain s’élevât a l’intelligence de la science mais il ne faut pas que la science s’abaisse pour se faire comprendre. Il faut qu’elle reste dans ses hauteurs et qu’elle y attire l’humanité. Je ne suis pas hostile à la littérature ouvrière. Je crois, au contraire, avec M. Michelet,