Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/46

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crainte vers ce qui est notre bien, et quand nous faisons violence aux choses pour leur arracher leur secret, être bien convaincus que nous agissons pour nous, pour elles et pour Dieu.

Ce n’est pas du premier coup que l’homme arrive à la conscience de sa force et de son pouvoir créateur. Chez les peuples primitifs, toutes les œuvres merveilleuses de l’intelligence sont rapportées à la Divinité ; les sages se croient inspirés, et se vantent avec une pleine conviction de relations mystérieuses avec des êtres supérieurs. Souvent ce sont les agents surnaturels qui sont eux-mêmes les auteurs des œuvres qui semblent dépasser les forces de l’homme. Dans Homère Héphæstos crée tous les mécanismes ingénieux. Les siècles crédules du moyen âge attribuent à des facultés secrètes, à un commerce avec le démon, toute science éminente ou toute habileté qui s’élève au-dessus du niveau commun. En général, les siècles peu réfléchis sont portés à substituer des explications théologiques aux explications psychologiques. Il semble naturel de croire que la grâce vient d’en haut ; ce n’est que bien tard qu’on arrive à découvrir qu’elle sort du fond de la conscience. Le vulgaire aussi se figure que la rosée tombe du ciel et croit à peine le savant qui l’assure qu’elle sort des plantes.

Quand je veux me représenter le fait générateur de la science dans toute sa naïveté primitive et son élan désintéressé, je me reporte avec un charme inexprimable aux premiers philosophes rationalistes de la Grèce. Il y a dans cette ardeur spontanée de quelques hommes qui, sans antécédent traditionnel ni motif officiel, par la simple impulsion intérieure de leur nature, abordent l’éternel problème sous sa forme véritable, une ingénuité, une