Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/497

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leur croyance sur les ouvrages de Vyasa, qui offraient des modèles de l’étude des livres d’origine sacrée et des principaux personnages qui recherchent les peines et les troubles du monde (189). » L’Inde me représente du reste la forme la plus vraie et la plus objective de la vie humaine, celle où l’homme, épris de la beauté des choses, les poursuit sans retour personnel, et par la seule fascination qu’elles exercent sur sa nature.

Religion est le mot sous lequel s’est résumée jusqu’ici la vie de l’esprit. Prenez le chrétien des premiers siècles ; la religion est bien toute sa vie spirituelle. Pas une pensée, pas un sentiment qui ne s’y rattache : la vie matérielle elle-même est presque absorbée dans ce grand mouvement d’idéalisme. Sive manducatis, sive bibitis, dit saint Paul. Voilà un superbe système de vie, tout idéal, tout divin, et vraiment digne de la liberté des enfants de Dieu. Il n’y a pas là d’exclusion, la chaine n’est pas sentie ; car, bien que la limite soit étroite, le besoin ne s’élance point au delà. La loi, toute sévère qu’elle est, est l’expression de l’homme tout entier. Au moyen âge, cette grande équation subsiste encore. Les foires, les réunions d’affaires ou de plaisir sont des fêtes religieuses ; les représentations scéniques sont des mystères ; les voyages sont des pèlerinages ; les guerres sont des croisades. Prenez, au contraire, un chrétien, même des plus sévères, du temps de Louis XIV, Montausier, Beauvilliers, Arnauld, vous trouverez deux parts dans sa vie : la part religieuse qui, toute principale qu’elle est, n’a plus la force de s’assimiler tout le reste ; la part profane, à laquelle on ne peut refuser quelque prix. Alors, mais non point auparavant, les ascètes commencent à prêcher le renoncement. Le premier chrétien n’avait besoin de renoncer à rien ; car