Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/63

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disparaîtra en tant qu’art spécial, aussitôt que l’humanité cessera d’être une machine. La science maîtresse, le souverain d’alors, ce sera la philosophie, c’est-à-dire la science qui recherche le but et les conditions de la société. Pour la politique, dit Herder, l’homme est un moyen pour la morale, il est une fin. La révolution de l’avenir sera le triomphe de la morale sur la politique.

Organiser scientifiquement l’humanité, tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse, mais légitime prétention.

Je vais plus loin encore. L’œuvre universelle de tout ce qui vit étant de faire Dieu parfait, c’est-à-dire de réaliser la grande résultante définitive qui clora le cercle des choses par l’unité, il est indubitable que la raison, qui n’a eu jusqu’ici aucune part à cette œuvre, laquelle s’est opérée aveuglément et par la sourde tendance de tout ce qui est, la raison, dis-je, prendra un jour en main l’intendance de cette grande œuvre (14), et après avoir organisé l’humanité, organisera Dieu. Je n’insiste pas sur ce point, et je consens à ce qu’on le tienne pour chimérique ; car aux yeux de plusieurs bons esprits à qui je veux plaire, ceci ne paraîtrait pas de bon aloi, et d’ailleurs, je n’en ai pas besoin pour ma thèse. Qu’il me suffise de dire que rien ne doit étonner quand on songe que tout le progrès accompli jusqu’ici n’est peut-être que la première page de la préface d’une œuvre infinie.