Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tées sur les choses vitales, et que ces vues, diversement exprimées pour chacun, reviennent à peu près au même. Seulement elles ne sont pas fixées dans des formes dures et déterminées une fois pour toutes. De là la couleur individuelle de toutes les philosophies, et surtout des philosophies allemandes. Chaque système est la façon dont un esprit éminent a vu le monde, façon toujours profondément empreinte de l’individualité du penseur. Je ne doute pas que chacun de ces systèmes ne fut très vrai dans la tête de l’auteur ; mais par leur individualité même ils sont incommunicables et surtout indémontrables (28). Ce sont de pures hypothèses explicatives, comme celles de la physique, lesquelles n’empêchent pas qu’il n’y ait lieu ultérieurement d’en essayer d’autre. Il ne faut pas dire absolument qu’il en est ainsi ; car nous ne pouvons avoir de conception adéquate aux causes primordiales ; mais que les choses se passent comme s’il en était ainsi (29). Il est impossible que deux esprits bien faits envisageant le même objet en jugent différemment. Si l’un dit oui, l’autre non, c’est qu’évidemment ils ne parlent pas de la même chose, où qu’ils n’attachent pas le même sens aux mots (30). C’est ce que Hegel entendait dire, quand il avance que chaque penseur est libre de créer le monde à sa manière.

Il n’est donc pas étonnant que l’orthodoxe puisse serrer ses croyances plus que le philosophe. L’orthodoxie met, si j’ose le dire, toute sa provision vitale dans un tube dur et résistant, qui est un fait extérieur et palpable, la révélation, sorte de carapace qui la protège, mais la rend lourde et sans grâce. La foi du philosophe au contraire est toujours à nu, dans sa simple beauté. Jugez combien elle prête à la brutalité. Mais un