Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/98

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développement tourné exclusivement vers le dévouement à la patrie et le bien faire (Sparte, l’ancienne Rome, etc.). Or, comme on remarquait que la culture lettrée était subversive d’un tel état, on déclamait contre cette culture, qui rendait, disait-on, plus facile à vaincre. De là ces lieux communs, supériorité du bien faire sur le bien dire, de la vertu grossière sur la civilisation raffinée, mépris du Græculus, chargé de grammaire, etc. De nos jours, ce sont là des non-sens. À notre point de vue, en effet Sparte et l’ancienne Rome représentent un des états les plus imparfaits de l’humanité, puisqu’un des éléments essentiels de notre nature, la pensée, la perfection intellectuelle, y était complètement négligé. Sans doute la simple culture patriotique et vraie est supérieure à cette culture artificielle des derniers temps de l’empire, et si quelque chose pouvait inspirer des craintes sur l’avenir de la civilisation moderne, ce serait de voir combien l’éducation prétendue humaniste qu’on donne à notre jeunesse ressemble à celle de cette triste époque. Mais rien n’est supérieur à la science et à la grande civilisation purement humaine, et il n’y a qu’un esprit superficiel qui puisse comparer cette grande forme de la vie complète à ces siècles factices où l’on ne pouvait avoir un noble sentiment qu’avec une réminiscence de rhétorique, où l’on faisait venir un philosophe pour s’entendre lire une Consolation quand on avait perdu un être cher, et où l’on tirait de sa poche en mourant un discours préparé pour la circonstance.

Ainsi, lors même que la civilisation devrait sombrer encore une fois devant la barbarie, ce ne serait pas une objection contre elle. Elle aurait raison au delà. Elle vaincrait encore une fois ses vainqueurs, et toujours de même,