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Page:Renan - Le Judaisme comme race et comme religion, 1883.djvu/61

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musulmane avait porté la langue de l’Hedjaz jusqu’au bout du monde. Il arriva pour l’arabe ce qui est arrivé pour le latin, lequel est devenu, en Occident, l’expression de sentiments et de pensées qui n’avaient rien à faire avec le vieux Latium. Averroès, Avicenne, Albaténi sont des Arabes, comme Albert le Grand, Roger Bacon, François Bacon, Spinoza sont des Latins. Il y a un aussi grand malentendu à mettre la science et la philosophie arabes au compte de l’Arabie qu’à mettre toute la littérature chrétienne latine, tous les scolastiques, toute la Renaissance, toute la science du seizième et en partie du dix-septième siècle au compte de la ville de Rome, parce que tout cela est écrit en latin. Ce qu’il y a de bien remarquable, en effet, c’est que, parmi les philosophes et les savants dits arabes, il n’y en a guère qu’un seul, Alkindi, qui soit d’origine arabe ; tous les autres sont des Persans, des Transoxiens, des Espagnols, des gens de Bokhara, de Samarkande, de Cordoue, de Séville. Non seulement, ce ne sont pas des Arabes de sang ; mais ils n’ont rien d’arabe d’esprit. Ils se servent de l’arabe ; mais ils en sont gênés, comme les penseurs du moyen âge sont gênés par le latin et le brisent à leur usage. L’arabe, qui se prête si bien à la poésie et à une certaine éloquence, est un instrument fort incommode pour la métaphysique. Les philosophes et les savants arabes sont en général d’assez mauvais écrivains.

Cette science n’est pas arabe. Est-elle du moins musulmane ? L’islamisme a-t-il offert à ces recherches ra-