Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/207

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vations scientifiques, pour celui qui sait y voir les premiers chants de l’enfance du genre humain et la langue dans laquelle il balbutia ses premiers mots. Envisagés à ce point de vue, ces antiques fragments ont une valeur inestimable, et si quelque psychologiste s’occupait jamais de développer la théorie de l’une des facultés les moins étudiées de l’homme, la faculté d’inspiration spontanée ou de poésie, c’est là qu’il devrait chercher ses matériaux. Car, à mon sens, cette faculté était une faculté d’enfance qui a disparu du monde, qui n’existait que dans le monde antique, et dont ceux qui se disent maintenant poètes ne sont que les imitateurs quant à la forme. Mais pour le fonds, qui est l’inspiration, elle s’est éteinte, et nos poètes n’ont d’autre ressource que de nous dire en beaux vers qu’ils sont inspirés, à défaut d’inspiration réelle. Voilà pourquoi, comme dit Pascal, les honnêtes gens ne mettent guère de différence entre le métier de poète et celui de brodeur.

J’attends avant notre départ pour Saint-Malo une réponse à la lettre que je t’avais écrite de Paris et à ces quelques lignes. Ce