Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/322

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le récit. Ce sera pour moi un grand soulagement ; car mon isolement, maintenant, est terrible, et mon cœur seul et fatigué trouve une douceur infinie à s’appuyer sur le tien.

Un mot encore, chère amie, de ces vacances, qui ont été à la fois pour moi si douces et si pénibles. Ma position durant ce temps a été des plus singulières. Jouir de ma bonne mère, la soigner, l’embrasser, l’égayer par des rêves, est pour moi si doux que j’oublierais, je crois, auprès d’elle les peines et les inquiétudes les plus actuelles. Et puis, j’éprouve là, en ce lieu natal, un sentiment indéfinissable de bien-être. Toute mon enfance, si simple, si pure, si insoucieuse, est là, et ce retour sur mon passé me charme et m’attendrit. La vie de ce pays est vulgaire ; mais il s’y trouve un fonds de repos et de bien-être, où la pensée et le sentiment, quand on ne les enferme pas dans le cercle étroit de cette vie mesquine, s’exercent avec beaucoup de suavité. Ah ! que je sens maintenant ce qu’elle a de douceur ! Je suis faible, bonne Henriette. Quelquefois je serais tenté de me contenter d’une vie simple et commune, que je saurais