Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/51

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du goût ; elle pouvait sourire à une parure, à un souci de femme, comme on sourit k une fleur. Elle n’avait pas dit à la nature cet abrenuntio frénétique de l’ascétisme chrétien. La vertu pour elle n’était pas une tension austère, un effort voulu ; c’était l’instinct naturel d’une belle âme allant au bien par un effort spontané, servant Dieu sans crainte ni tremblement.

Ainsi nous vécûmes durant six années d’une vie très élevée et très pure. Ma position était toujours extrêmement modeste ; mais c’était elle-même qui le voulait. Elle ne m’eût pas permis, quand même j’y eusse pensé, de sacrifier à mon avancement la moindre partie de mon indépendance. Les malheurs qui frappèrent inopinément notre frère et entraînèrent la perte de toutes nos économies ne l’ébranlèrent pas. Elle eût repris le chemin de l’étranger, si cela eût été nécessaire au développement régulier de ma vie. Mon Dieu ! ai-je fait tout ce qui dépendait de moi pour lui procurer le bonheur ? Avec quelle amertume je me reproche maintenant de n’avoir pas été avec elle assez expansif, de ne pas lui