Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/56

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sentiment qu’elle éprouvait fût simple, qu’elle voulût réellement faire obstacle à l’union que j’avais désirée ? Non certes. C’était la tempête d’une âme passionnée, la révolte d’un cœur violent dans son amour. Dès qu’elle et mademoiselle Cornélie Scheffer se virent, elles conçurent l’une pour l’autre le sentiment qui devait plus tard devenir si doux pour toutes les deux. Les façons grandes et élevées de M. Ary Scheffer la saisissaient et l’enlevaient. Elle reconnaissait qu’il n’y avait point de place ici pour des petitesses bourgeoises, pour de mesquines susceptibilités. Elle voulait ; mais au moment décisif la femme se retrouvait ; elle n’avait plus la force de vouloir.

Un jour enfin, je dus sortir de cette cruelle angoisse. Forcé de choisir entre deux affections, e sacrifiai tout à la plus ancienne, à celle qui ressemblait le plus à un devoir. J’annonçai à mademoiselle Scheffer que je ne la reverrais plus si le cœur de mon amie ne cessait de saigner. C’était le soir ; je revins dire à ma sœur ce que j’avais fait. Une vive révolution s’opéra en elle ; avoir empêché une union désirée par moi, et par elle hautement