Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/71

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vive que la veille. Henriette fut confidente jour par jour des progrès de mon ouvrage ; au fur et à mesure que j’avais écrit une page, elle la copiait : « Ce livre-ci, me disait-elle, je l’aimerai ; d’abord, parce que nous l’aurons fait ensemble, et puis, parce qu’il me plaît. » Jamais sa pensée n’avait été si haute. Le soir, nous nous promenions sur notre terrasse, à la clarté des étoiles ; là elle me faisait ses réflexions, pleines de tact et de profondeur, dont plusieurs ont été pour moi de vraies révélations. Sa joie était complète, et ce furent là sans doute les plus doux moments de sa vie. Notre communion intellectuelle et morale n’avait jamais été à un tel degré d’intimité. Elle me dit plusieurs fois que ces jours étaient son paradis. Un sentiment de douce tristesse s’y mêlait. Ses douleurs n’étaient qu’assoupies, elles se réveillaient par moments, comme un avertissement fatal. Elle se plaignait alors que le sort fût pour elle si avare et lui reprît les seules heures de joie parfaite qu’il lui eût concédées.

Dans les premiers jours de septembre, le séjour de Ghazir me devint fort incommode,