Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/122

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Justin avait pris pour base de son apologie un sentiment plus large. Il avait rêvé une conciliation des dogmes chrétiens et de la philosophie grecque. C’était là certainement une grande illusion. Il ne fallait pas beaucoup d’efforts pour voir que la philosophie grecque, essentiellement rationnelle, et la foi nouvelle, procédant du surnaturel, étaient deux ennemies, dont l’une devait rester sur le carreau. La méthode apologétique de saint Justin est étroite et périlleuse pour la foi. Tatien le sent, et c’est sur les ruines mêmes de la philosophie grecque qu’il cherche à élever l’édifice du christianisme. Comme son maître, Tatien possédait une érudition grecque étendue ; comme lui, il n’avait aucune critique et mêlait de la façon la plus arbitraire l’authentique et l’apocryphe, ce qu’il savait et ce qu’il ne savait pas. Tatien est un esprit sombre, lourd, violent, plein de colère contre la civilisation et contre la philosophie grecque, à laquelle il préfère hautement l’Orient, ce qu’il appelle la philosophie barbare[1]. Une érudition de chétif aloi,

  1. Ὁ κατὰ βαρϐάρους φιλοσοφῶν Τατιανός. Adv. Gr., 42. Γραφαὶ βαρϐαρικαί. Ibid., 29, 30, 31, 35. Dans Justin et dans Tatien, ce mot de « barbare » signifie Oriental, par opposition aux Grecs et aux Latins. Cf. Justin, Apol. I, 46 ; Clém. d’Alex., Strom., V, 5, init. Jamais Tatien n’écrit les mots de « juifs », de « chrétiens », de « Jésus ». Quand il composa le discours contre les Grecs, Tatien admettait cependant toute la Bible, § 36.