Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/124

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gourmand ; Aristote, servile[1]. Les philosophes ont eu tous les vices ; c’étaient des aveugles qui dissertaient avec des sourds[2]. Les lois des Grecs ne valent pas mieux que leur philosophie ; elles diffèrent les unes des autres ; or la bonne loi devrait être commune à tous les hommes[3]. Chez les chrétiens, au contraire, nul dissentiment. Riches, pauvres, hommes, femmes ont les mêmes opinions[4]. — Par une amère ironie du sort, Tatien devait mourir hérétique et prouver que le christianisme n’est pas plus à l’abri que la philosophie des schismes et des divisions de parti.

Justin et Tatien, bien qu’amis durant leur vie, représentent déjà de la manière la plus caractérisée les deux attitudes opposées que prendront un jour les apologistes chrétiens à l’égard de la philosophie. Les uns, au fond Hellènes, tout en reprochant à la société païenne le relâchement de ses mœurs, admettront ses arts, sa culture générale, sa philosophie. Les autres, Syriens ou Africains, ne verront dans l’hellénisme qu’un amas d’infamies, d’absurdités ; ils préféreront hautement à la sagesse grecque la

  1. Tatien, Orat. adv. Gr., 2, 3, 25, 26.
  2. Ibid., 19, 25, 26.
  3. Ibid., 28.
  4. Ibid., 32.