Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/445

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à des gentils[1] ; ils sont persécutés par les Grecs, et ceux qui les haïssent ne sauraient dire pourquoi.

Bref, ce qu’est l’âme dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L’âme est répandue entre tous les membres du corps, et les chrétiens sont répandus entre toutes les villes du monde. L’âme habite dans le corps, et pourtant elle n’est pas du corps ; de même les chrétiens habitent dans le monde sans être du monde[2]. L’âme invisible est retenue prisonnière dans le corps visible ; de même la présence des chrétiens dans le monde est de notoriété publique ; mais leur culte est invisible. La chair hait l’âme et lui fait la guerre, sans que celle-ci ait d’autre tort envers elle que de l’empêcher de jouir ; le monde hait aussi les chrétiens, sans que les chrétiens aient d’autre tort que de faire de l’opposition au plaisir. L’âme aime la chair, qui la hait ; de même les chrétiens aiment ceux qui les détestent. L’âme est emprisonnée dans le corps, et pourtant elle est le lien qui conserve le corps ; de même les chrétiens sont détenus dans la prison du monde, et ce sont eux qui maintiennent le monde. L’âme immortelle habite une demeure mortelle ; de même les chrétiens sont provisoirement domiciliés dans des habitations corruptibles, attendant l’incorruptibilité du ciel. L’âme est améliorée par les souffrances de la faim, de la soif ; les chrétiens, suppliciés chaque jour, se multiplient de plus en plus. Dieu leur a assigné un poste qu’il ne leur est pas permis de déserter.[3]


Le spirituel apologiste nous met lui-même le doigt

  1. Ὑπὸ Ἰουδαίων ὡς ἀλλόφυλοι πολεμοῦνται. Ch. v. Cf. Justin, cité dans l’Égl. chrét., p. 277.
  2. Jean, xvii, 11, 14, 16.
  3. Ad Diogn., 5, 6