Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/78

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d’exclusion. La liberté de penser était absolue. De Néron à Constantin, pas un penseur, pas un savant ne fut troublé dans ses recherches.

La loi était persécutrice ; mais le peuple l’était encore plus. Les mauvais bruits répandus par les juifs et entretenus par des missionnaires haineux, sorte de commis-voyageurs de la calomnie[1], indisposaient les esprits les plus modérés et les plus sincères. Le peuple tenait à ses superstitions, s’irritait contre ceux qui les attaquaient par le sarcasme. Même des gens éclairés, tels que Celse et Apulée, croient que l’affaiblissement politique du temps vient des progrès de l’incrédulité à la religion nationale. La position des chrétiens était celle d’un missionnaire protestant établi dans une ville très catholique d’Espagne et prêchant contre les saints, la Vierge et les processions. Les plus tristes épisodes de la persécution sous Marc-Aurèle vinrent de la haine du peuple. À chaque famine, à chaque inondation, à chaque épidémie, le cri : « Les chrétiens au lion ! » retentissait comme une menace sombre[2]. Jamais règne n’avait

  1. Justin, Apol. I, 49 ; Dial., 10, 17, 108, 117. Cf. Tertullien, Ad nat., I, 14 ; Adv. Marc., III, 23 ; Adv. Jud., 13, 14, Synagogas Judæorum fontes persecutionum, Scorp., 10 ; Eusèbe, In Is., xviii, 1-2.
  2. Tertullien, Apol., 40. Cf. Origène, In Matth. comm. ser., tract. xxviii, Delarue, III, p. 857.