Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous craignons, en rappelant ces images d’une course féerique, d’être dupes d’une illusion.

La lettre de mon confrère et ami M. Amari, qui m’invitait au congrès de Palerme, me surprit juste au moment où je pensais revoir ces mers méridionales, que je me figure toujours comme des sources de jeunesse et de vie. Ce mauvais été s’était montré pour moi plein de traîtrises. Il m’avait rendu des douleurs que je croyais endormies ; pour la première fois je pensais à la vieillesse, je me plaignais qu’elle fût prématurée, tout en reconnaissant que, mon œuvre essentielle étant à peu près achevée, je devais me mettre au nombre des privilégiés du sort. Comme protestation contre une infirmité précoce, je songeais à un grand voyage, le dernier sans doute.


Extremum hunc, Arethusa, mihi concede laborem,


disais-je, et voici qu’Aréthuse elle-même venait m’inviter à visiter son beau rivage. J’acceptai, et, le 24 août, je m’embarquai à Gênes pour Palerme avec deux jeunes amis, M. Gaston Paris et le marquis Joseph de Laborde, dont les fraîches sensations me rappelaient celles que j’éprouvai il y a vingt-six ans en touchant pour la première fois la terre d’Italie.


I.

La vue de la Sicile, à la hauteur de Palerme, nous frappa d’admiration. Ce n’est ni la Syrie ni la Grèce ; c’est plutôt l’Afrique, quelque chose de torride et de gigantesque, donnant l’idée de l’indomptable et de l’inaccessible. Quand on entre dans la baie, la scène change.