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Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/184

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dont cette compagnie s’était rendue coupable. Le sénat avait trouvé honnêtes toutes les illégalités, tous les coups d’État, quand il s’était agi de maintenir son pouvoir. Sylla ne fut pas plus un Washington que César ou Auguste ; il fut plus cruel que ces deux derniers, au moins que César, et il ne fonda rien du tout. Jamais Sylla ne comptera parmi les grands rénovateurs des choses humaines. Ce fut une étrange et puissante nature, l’idéal d’un aristocrate, sans vanité, sans charlatanisme, très-intelligent sur une moitié des choses, borné sur l’autre, trop dédaigneux de l’espèce humaine pour aimer beaucoup la gloire, voulant conserver et non régner, vivant du plaisir de résister à la marche des choses, d’une sorte de goût désintéressé de restauration. Qu’a-t-il fait ? Par des proscriptions odieuses il a retardé de quelques années ce qui devait arriver. César et Auguste sont des ambitieux, je l’avoue ; mais ils ont fondé pour des siècles, et les conséquences de leur œuvre durent encore.

Les progrès réels que le sens moral a faits de nos jours ne doivent pas fausser pour nous l’image du passé. Que l’on songe à ce qu’il a fallu d’efforts pour faire pénétrer un peu de bon sens dans l’énorme troupeau d’un milliard de têtes qui peuple la surface de notre globe. L’amour du bien et la raison résidèrent d’abord en quelques milliers de sages. La civilisation est l’œuvre d’un tout petit nombre de nobles qui ont su charmer, entraîner, décevoir ou dompter le reste. Voilà pourquoi jusqu’à notre temps il n’y a pas eu de grande politique sans imposture et sans crimes. L’histoire n’est pas une leçon de morale. M. Beulé essaye de montrer ce qu’il appelle « la pénalité en histoire » ; il voudrait qu’il n’y eût pas de