Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/207

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comme le fléau et la honte de la vie de Marc-Aurèle, associée par cet homme si religieux, dans son entretien le plus intime avec la Divinité, aux personnes les plus nobles qu’il a connues. Mettons qu’il lui eût pardonné comme il fit à tant d’autres ; mais qu’est-ce qui le forçait d’évoquer son image à ce moment sacré ? Ne devait-il pas craindre, lui si pur, si innocent, de commettre un sacrilège en plaçant la mémoire d’une épouse souillée à côté du souvenir de sa mère, de sa sœur ? Et notons que ce beau passage a été écrit dans les derniers temps de la vie de Marc-Aurèle, probablement après la mort de Faustine[1]. Capitolin a posé la question avec beaucoup de force : si les désordres de Faustine furent réels, de deux choses l’une, ou son mari les ignora, ou il les dissimula : Vel nesciit vel dissimulavit[2]. Impossible d’admettre la seconde hypothèse. On ne dissimule pas avec la Divinité. Les Pensées de Marc-Aurèle ne furent pas destinées au public ; l’auteur les écrivait pour lui-même : Τὰ εἰς ἑαυτόν est le seul titre qu’elles portent. Peut-on admettre, d’un autre côté, que l’empereur ignorât des faits que l’on suppose d’une telle notoriété ? Remarquons d’abord que la version malveillante pour Faustine implique le contraire (se rappeler la scène du théâtre et le prétendu mot sur la dot). Comment concevoir que Marc-Aurèle, entouré d’amis, de sages, peu sympathiques à Faustine, n’eût pas été averti ? Comment, après sa mort, ne lui eût-on pas ouvert les yeux ? Antonin le Pieux, lui,

  1. La mort de Faustine, en effet, paraît de l’an 172 de J.-C. Or on place généralement la composition du Εἰς ἑαυτόν à l’an 174.
  2. Capitolin, Ant. Phil., 26.