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Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/22

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chez le peuple, favorisés par l’instruction primaire, par l’exercice des droits politiques, par les progrès de l’industrie, par l’augmentation de la richesse, rendront l’individu de moins en moins capable des miracles d’abnégation dont les masses inconscientes du passé nous ont donné l’exemple. La nation vit des sacrifices que lui font les individus ; l’égoïsme toujours croissant trouvera insupportables les exigences d’une entité métaphysique, qui n’est personne en particulier, d’un patriotisme qui implique plus d’un préjugé, plus d’une erreur. Ainsi nous assisterons dans toute l’Europe à l’affaiblissement de l’esprit national, qui, il y a quatre-vingts ans, a fait dans le monde une si puissante apparition. La nationalité allemande, créée la dernière, résistera la dernière, d’abord à cause de ses récentes victoires, puis à cause de l’esprit particulier de soumission de la race allemande ; mais elle finira par suivre la voie du reste du monde. Sa gloire lui deviendra un fardeau ; elle trouvera, comme la France de 1813, que la prédominance militaire d’une nation s’achète bien cher ; écrasée sous le poids de charges intolérables, elle portera envie à ses vaincus. Elle démontrera une fois de plus cette vérité, établie par les règnes de Louis XIV et de