Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/228

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dèle du grec que nous trouvons dans les écrivains classiques de Rome. Il est sûr du moins que ce n’est pas cette langue savante et littéraire qui a survécu dans l’usage, et qui est venue jusqu’à nous comme idiome parlé, sous le nom de français, d’italien, d’espagnol : c’est la langue du dessous, la langue sans grammaire, moins riche en désinences, traînante dans sa syntaxe, écourtée dans sa prononciation. Il n’y avait pas deux langues latines. Mais il y avait une langue grammaticale et une langue populaire, de même que, parmi nous, sans qu’il y ait deux langues françaises, le langage d’un paysan, si on l’écrivait rigoureusement comme il le prononce, différerait notablement de celui d’un homme bien élevé. Ainsi le fait générateur de la langue française n’est au fond qu’une révolution démocratique : la langue d’en bas l’a emporté sur la langue d’en haut ; la langue des gens illettrés, des soldats, des provinciaux, sur la langue des lettrés et de la capitale. Il arriva comme si de nos jours l’Académie cédait le pas au jargon, et comme si les gens sans étude réglaient l’orthographe. Les inscriptions, qui sont pour l’antiquité les meilleurs témoins de la langue populaire, nous offrent à chaque ligne les plus révoltantes énormités grammaticales. Les textes latins des basses époques qui n’aspirent qu’à se faire entendre sont du même style. Je signalerai à cet égard un curieux manuscrit que possède notre Bibliothèque Nationale, et dont on a, ce me semble, tenu trop peu de compte. C’est un traité de cuisine du VIIe siècle, écrit, on peut le croire, dans la langue vulgaire du temps, par un certain Vinidarius. Le style de ce cordon bleu, qui s’intitule fièrement Vir inlus-