Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/276

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mot de gloire et travailla pour la postérité. Le respect des origines tient chez elle au même principe. L’art étant pour l’Italie la réalisation du beau, non un caprice futile, ce pays n’éprouva pas le besoin de sacrifier les œuvres du passé aux convenances des artistes à la mode. Toutes les couches de l’histoire de l’art sont représentées sur son sol. Chacun de ses chefs-d’œuvre a un nom, une date, une légende. Si elle eût possédé nos architectes du xiie et du xiiie siècle, elle eût égalé leur gloire à celle des Bramante et des Michel-Ange. Même les noms obscurs des Colart de Laon, des Girard d’Orléans, seraient chez elle inscrits au livre d’or. Chez nous, ils n’ont échappé à l’oubli que par le hasard qui les a fait figurer sur d’insipides registres de dépenses, mêlés aux détails les plus vulgaires, illacrymabiles,… carent quia vate sacro.

En somme, si notre art du moyen âge n’a pas vécu, ce n’est pas le caprice du xvie siècle qu’il en faut accuser, c’est qu’il manquait des conditions nécessaires pour arriver à la pleine réalisation du beau. L’art du moyen âge tomba par ses défauts essentiels et parce qu’il ne sut pas s’élever à la perfection de la forme. L’antiquité seule pouvait révéler aux nations modernes le secret d’un art qui ne sacrifiât jamais la beauté à l’expression et s’arrêtât toujours devant la difformité. La renaissance n’est pas, comme on l’a dit souvent, coupable d’avoir étouffé l’art du moyen âge : l’art du moyen âge était mort avant qu’elle commençât à poindre. Il était mort faute d’un principe suffisant pour l’amener à un entier succès. Aussi sa décadence ne ressemble-t-elle pas à celle d’un art qui dépasse le but à force de raffinement et par l’impos-