Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/308

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sable d’avoir déployé un peu de chaleur dans sa croisade contre de vieilles erreurs qu’il désespérait presque de détrôner ? Peut-être, s’il n’avait pas aussi vivement accentué ses critiques, le livre de Conde eût-il continué longtemps encore à faire les délices de ceux qui aiment à rêver aux Abencérages et à l’Alhambra. Mais, je le répète, je n’envisage les travaux de M. Dozy que sous le rapport du fond et des résultats acquis. Sous ce rapport, ils doivent prendre place parmi les recherches les plus originales de ce siècle, car ils ont éclairé d’un jour nouveau l’histoire de l’Espagne musulmane, c’est-à-dire l’une des pages les plus curieuses de l’histoire de la civilisation.

C’est un spectacle unique, en effet, que celui de ce coin privilégié du monde qui tint un moment la tête de l’humanité, et réalisa une si belle, mais si passagère combinaison des éléments d’une société civilisée : culture intellectuelle, tolérance, douceur de mœurs, science et philosophie, sentiment délicat du beau ; tout, excepté ce qui fait la durée d’un État, je veux dire le germe du développement et du progrès. La race arabe ne tarde jamais à rencontrer sa limite ; sa mesure comblée, elle ne sait plus que déchoir ; l’infini lui semble refusé. Malgré de remarquables instincts de justice et d’égalité, elle n’a jamais réussi à ouvrir une série vraiment féconde d’améliorations sociales. Son développement intellectuel, un moment supérieur à celui des nations chrétiennes, ne sut pas résister à ce premier sentiment de fatigue qu’éprouve l’esprit humain après chacun de ses efforts. Arrivées au xiiie siècle à leur apogée, la science et la philosophie arabes entrent tout à coup dans la voie du plus rapide déclin. Les souverains qui les avaient protégées