Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/429

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nous que notre supériorité en ce genre ne date guère que de quelques années. Les anciens, sous ce rapport, étaient exactement au niveau de notre XVIIe siècle. Quand on lit les opuscules de Denys d’Halicarnasse sur Platon, sur Thucydide, sur le style de Démosthène, on croit lire les Mémoires de M. et de madame Dacier ou des honnêtes savants qui remplirent les premiers volumes des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Dans le Traité du Sublime lui-même, qui cependant doit être regardé comme la meilleure œuvre critique de l’antiquité, et qu’on peut comparer aux productions de l’école française du XVIIIe siècle, que d’artificiel, que de puérilités ! Peut-être les siècles qui savent le mieux produire le beau sont-ils ceux qui savent le moins en donner la théorie [1]. Rien de plus insipide que ce que Racine et Corneille nous ont laissé en fait de critique. On dirait qu’ils n’ont pas compris leurs propres beautés.

Un tel progrès est du reste dans la nécessité des choses. Tout ce qui relève de la science ne peut que gagner par la marche du temps et par les études successives qui s’accumulent. M. Græfenhan a tort, selon moi, de préférer la seconde période de la philologie grecque, depuis Aristote jusqu’à Auguste, à la troisième, depuis Auguste jusqu’à la fin du IVe siècle. Sans doute, l’esprit grec déploya, d’Aristote à Auguste, une force créatrice qu’il n’eut pas sous l’empire ; mais Descartes et Malebranche avaient sûrement plus d’originalité que bien des

  1. Il y a une exception à faire en faveur de l’Allemagne, à qui appartient la gloire d’avoir créé l’esprit de la critique moderne, et où chaque nouvelle sève de création littéraire est déterminée par un nouveau système d’esthétique.