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MÉLANGES D’HISTOIRE.

humain reste sans travailleurs. On semble croire qu’il n’y a plus à s’occuper des sources, on improvise des systèmes et on ne songe pas que tout est à faire ou à refaire, que des documents de premier intérêt (je ne citerai que les Védas) sont encore inexplorés, que d’autres connus depuis longtemps attendent leur véritable interprétation. J’ose le dire : Hérodote n’a pas encore été lu ; ce vaste ensemble de documents que la Grèce nous a légué sur le monde antique prendra un sens inattendu quand on en rapprochera les données nouvelles fournies par la philologie orientale. Il y a là une révolution qui sera un jour comparée à celle que fit, à la Renaissance, l’étude des sources grecques, presque inconnues du moyen âge. Le public, qui ne prend d’intérêt qu’aux résultats, la routine, qui ne veut pas qu’on dérange ses partis pris ni que l’on sorte des sentiers battus, comprennent peu, je le sais, ces travaux de première main, dont la destinée est de n’être lus qu’en vue de l’œuvre à laquelle ils concourent. Mais c’est une raison de plus pour que ceux à qui est confié le patronage des œuvres à longue portée se fassent les promoteurs des travaux pour lesquels le public n’a pas de récompense. Durant trente années, à la suite de cet admirable mouvement de curiosité qui signala l’avènement de la Restauration, l’État a été pour la science le plus éclairé des Mécènes. Sommes-nous destinés à voir les besoins grossiers de tous prendre la place des besoins plus délicats qui, au premier coup d’œil, semblent n’appartenir qu’à un petit nombre ? Je l’ignore ; mais il y a pour le faire craindre plus d’un signe alarmant. On entend demander tous les jours de ces nobles études : « A quoi servent-elles ? »