Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/49

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moins en moins juive ; de plus en plus elle repoussera toute organisation politique appliquée aux choses de l’âme. Elle deviendra la religion du cœur, l’intime poésie de chacun. En morale, nous poursuivrons des délicatesses inconnues aux âpres natures de la Vieille Alliance ; nous deviendrons de plus en plus chrétiens. En politique, nous concilierons deux choses que les peuples sémitiques ont toujours ignorées : la liberté et la forte organisation de l’État. À la poésie nous demanderons une forme pour cet instinct de l’infini qui fait notre charme et notre tourment, notre noblesse en tout cas. À la philosophie, au lieu de l’absolu scolastique, nous demanderons des échappées sur le système général de l’univers. En tout, nous poursuivrons la nuance, la finesse au lieu du dogmatisme, le relatif au lieu de l’absolu. Voilà, suivant moi, l’avenir, si l’avenir est au progrès. Arrivera-t-on à une vue plus certaine de la destinée de l’homme et de ses rapports avec l’infini ? Saurons-nous plus clairement la loi de l’origine des êtres, la nature de la conscience, ce qu’est la vie et la personnalité ? Le monde, sans revenir à la crédulité et tout en persistant dans sa voie de philosophie positive, retrouvera-t-il la joie, l’ardeur, l’espérance, les longues pensées ? Vaudra-t-il encore un jour la peine de vivre, et l’homme qui croit au devoir trouvera-t-il dans le devoir sa récompense ? Cette science, à laquelle nous consacrons notre vie, nous rendra-t-elle ce que nous lui sacrifions ? Je l’ignore. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en cherchant le vrai par la méthode scientifique, nous aurons fait notre devoir. Si la vérité est triste, nous aurons du moins la consolation de l’avoir trouvée selon les règles ; on pourra dire que nous aurions mérité de la trouver plus conso-