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JOSEPH-VICTOR LE CLERC. 505

Sa vie était d’une extrême sobriété, ses mœurs turent toujours d’une pureté austère. Logé sous les combles de la Sorbonne, il habitait en quelque sorte au milieu des livres, qui débordaient de toutes parts. Cette belle cour, avec ses majestueux pavillons et ses nobles portiques, ces vieux escaliers, avec leurs rampes formées de poutres massives, qu'ont foulés tant de laborieuses générations, étaient pour lui l’univers. Ennemi de tous les changements matériels, il contribua beaucoup à en écarter le marteau destructeur. Il n’allait pas dans le monde, le commerce de l’antiquité lui suffisait ; ses sorties se bornaient à se promener seul dans quelque allée du Luxembourg. Il quittait le moins possible sa solitude, peuplée par le souvenir de tous les âges et embellie par les fleurs les plus exquises de toute littérature. On respirait en montant chez lui l’étude et la gravité. Sa porte était ouverte à tous ; sa figure sérieuse, qui paraissait ressuscitée d’un autre siècle, aurait bientôt écarté l’importun et l’oisif. Au premier coup d’œil, il pouvait sembler sévère ; mais quiconque aimait l’étude le trouvait bientôt plein d’aménité, de bonhomie et de finesse.

Il fut le dernier des sages à l’ancienne manière, et plaise au ciel que ceux qui souriront de tant de simplicité nous fassent une France comme celle de ces pédants d’autrefois ! Son désintéressement allait jusqu’aux attentions les plus délicates. Il ne mettait pas de bornes à sa charité. Outre la somme considérable qu’il remettait chaque année au curé de Saint-Etienne du Mont, sa domestique avait ordre de ne refuser aucun mendiant. Plusieurs pauvres honteux du quartier vivaient de ses aumônes. Ses amis furent plus d’une fois chargés par lui de porter