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512 MÉLANGES DHISTOIRE.

lablement consacré de longs travaux à extraire les blocs de la carrière et à les assembler. Un seul résultat certain, en ces délicates matières, suppose des vies obscurément employées, des séries de patients efforts continués quelquefois pendant des siècles.

Bien loin que les travaux spéciaux soient le fait d’esprits peu philosophiques, ces travaux sont donc réellement les plus importants pour la science et ceux qui supposent la plus solide philosophie. Comme le demi-dieu des fables antiques qu’il fallait torturer si l’on voulait obtenir ses réponses, la vérité dans la science historique est fugace, glissante, difficile à saisir. Les esprits formés par une longue discipline sont seuls aptes à cette lutte contre les mille chances d’erreurs qui entourent chacun de nos pas dans le domaine de l’antiquité. Le respect de l’histoire consiste-t-il à s’interdire toutes ces perplexités, à poser en règle qu’il ne faut pas toucher aux versions convenues, aux thèmes reçus et devenus populaires ? Vous n’en croyez rien, messieurs ; vous pensez que le culte le plus éclairé qu’on puisse rendre à la vérité est la peine qu’on se donne pour la trouver. Oui, vos procédés exacts et sûrs, vos doutes discrets, vos discussions ardentes, obstinées, sont le meilleur hommage à la majesté du passé, et permettez-moi d’ajouter le meilleur exemple des facultés nouvelles que réclame la patrie. Tout se tient dans la culture intellectuelle ; la discipline de l’esprit va d’une seule pièce ; une nation qui désormais négligera telle ou telle des grandes applications de la raison humaine en portera bien vite la peine. L’esprit critique, ces procédés dont vous tenez école, et qui consistent surtout dans la fine appréciation des indices, dans l’investigation sagace.