Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/219

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sificateurs insipides, qui étaient couverts d’applaudissements dans les réunions littéraires de l’époque des empereurs ? Qu’aurait dit Tacite, si on eût soutenu devant lui que ces misérables sur lesquels il jetait en passant de si amères paroles devaient un jour posséder la terre, et qu’ils travaillaient pour la civilisation ?

Il ne faut pas voir de trop près ces grands enfantements de l’humanité. L’apparition du christianisme nous paraît exclusivement pure, sainte et surnaturelle ; elle le fut en effet, mais dans son ensemble : de loin, elle nous paraît toute blanche et belle ; mais si nous pouvions la voir de près, penses-tu que nous n’y trouverions pas bien des taches ? À côté du tronc principal, d’où sortent les Évangiles, les épîtres, etc., que de sectes folles, extravagantes, immorales, monstrueuses ! et pourtant à certains moments il n’y eut pas de démarcation nette entre ces rameaux empoisonnés et les rameaux vivants et sains. Tout coexistait dans la plus confuse unité : le gnosticisme a sa racine dans le Nouveau Testament tout comme l’orthodoxie. Ce n’est que plus tard que la séparation s’est opérée, que le pur et l’impur se sont opposés. De même dans l’apparition nouvelle, il y a des gnostiques (phalanstériens, communistes, etc.) ; comme on en est encore à la lutte, les sectes ne s’excommunient pas ; cela viendra après le triomphe. Mais en attendant, les infamies des sectes perdues, égarées, retombent en calomnies sur tout l’ensemble