Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/223

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rendre notre jonction difficile. Les tristes pressentiments de ta dernière lettre m’affligent profondément. Mon Henriette bien-aimée, espère toujours ; cet hiver passera ; les beaux jours viendront. Que ne puis-je te dire quelque chose de plus réel ? Bientôt peut-être. Ne désespère pas surtout de notre patrie ; nous explorons le terrain ; comme toujours, nous nous chargeons à nos dépens des premières expériences. Il est très facile aux étrangers de rire ou de hausser les épaules de nos chutes dans ces chemins nouveaux, tout en se réservant d’y marcher après nous quand le chemin sera battu. [Ne firen]t-ils pas de même lors de la première Révolution, et maintenant ne profitent-ils pas eux-mêmes des résultats acquis par notre sang ? Après tout, il vaut mieux marcher, bien qu’avec quelque risque, que de rester éternellement stationnaire dans le mal ou le médiocre. Celui qui reste dans sa chaise ne fait jamais de faux pas. Adieu, chère et excellente amie ; continue de m’aimer, et toute peine, toute attente me semblera légère.

E. RENAN.


C’est moi qui effaçai quelques lignes de ma dernière lettre, craignant la censure française. On a exercé sur ce quartier une telle inquisition, que je n’ai osé compter durant quelques jours sur le secret de la correspondance.