Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/267

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Comme la tienne, chère amie, ma pensée se porte sans cesse vers la question désormais permanente de ton retour. Je suis convaincu que la grande commotion qui agite en ce moment l’Europe ne se terminera que par une vaste guerre, qui, dans un espace de temps plus ou moins rapproché, viendra trancher nos délibérations. Toutefois, lors même que tant de nationalités ébranlées et de principes mis en lutte parviendraient à se faire leur place respective sans ce terrible moyen, il y aurait lieu, chère amie, d’agiter entre nous cette grave question ; et pour ma part, je la trancherais, comme je l’ai toujours fait, dans le sens du retour le plus prompt. Il est trop clair, chère amie, que si nous n’écoutions que nos sentiments, toute délibération serait inutile ; il s’agit de savoir si ce parti est aussi sage aux yeux de la raison qu’il est désirable pour notre amitié. Je n’hésite pas à répondre oui, chère amie. Je sais bien que les circonstances sont loin d’être favorables. Mais c’est surtout en vue de l’avenir que je commence à croire que ton séjour en France devient rigoureusement nécessaire. Le jour viendra, je n’en doute pas, où l’éducation des femmes recevra une organisation officielle et générale. Si, après tes longs travaux, tu ne voulais pas encore te réduire à un repos absolu, ce serait là seulement que je verrais pour toi des dispositions convenables. Or tu comprends, chère amie, qu’un séjour trop prolongé à l’étranger, en t’empêchant de te faire connaître parmi nous, ne pourrait t’être