Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/290

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une philosophie nouvelle, une morale nouvelle, un idéal nouveau, et pour les initiés, un Dieu nouveau. Le jour n’est pas loin ou le vieux parti conservateur-égoïste, celui que quelquefois je me laisse aller à appeler (improprement, je l’avoue), le parti bourgeois, autrement dit, les satisfaits matérialistes et financiers du vieux régime, le jour, dis-je, n’est pas loin où ce parti sera réduit à une telle nullité, à une telle incapacité de produire quoi que ce soit, qu’il tombera de lui-même comme une bourse vide, qu’il mourra de bêtise bien plus que de mort violente. Nul plus que moi ne respecte les générations de leur vivant, si elles consentaient au rôle de momies. Je ne trouve même pas mauvais qu’elles ne prennent pas le ton nouveau  ; nous autres, nous aurons un jour à réclamer la même indulgence. Le vieillard n’est pas ridicule pour conserver le costume de son temps ; au contraire, cela lui donne un air original et vénérable qu’on aime, et qu’il perd, s’il cherche à prendre des airs de jeunesse et à suivre les modes du jour. Celui qui s’est moulé dans une forme roide et cassante ne peut s’en débarrasser, et (quoique nous ne concevions pas comment cela pourra arriver) il est bien probable qu’un jour nous aussi nous prononcerons l’anathème contre l’avenir au nom de ce que nous aurons considéré comme la perfection. Ainsi donc, respect à tout ce qui a été beau, à tout ce qui a servi le progrès ! Mais que ce respect ne soit pas une chaîne ! Où serions-nous, si les