Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/403

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pas mauvais que le désir de faire cette épargne entre pour quelque chose dans mes déterminations. O très cher ami, quand tout cela sera-t-il fini ? quand serai-je près de toi ?

J’ai vu avec la plus grande joie, mon Ernest, que tu n’as qu’à te louer de tes compagnons de voyage, de vos rapports, de vos arrangements réciproques. Quand il s’agit de ton repos, cher ami, il faut me pardonner de trop prévoir. C’est d’ailleurs le mal que donnent les années : on a été souvent froissé, on craint, on entrevoit de nouveaux froissements, surtout pour ceux que l’on aime. Ceci est involontaire, en dehors de tout raisonnement, et ce n’est pas une des moindres souffrances que l’expérience amène à sa suite. J’aurais été vraiment affligée de te savoir en butte même aux moindres tracasseries, dans un voyage où je te désire tant de repos d’esprit et de cœur. Tout ce que tu me dis sur ta vie, l’emploi de tes journées, les occupations intellectuelles, me laisse heureuse et pleine de gratitude envers le sort, qui une fois du moins couronne mes vœux dans l’être où il m’est le plus doux de les voir exaucés. Je suis intérieurement joyeuse dans la soirée du jeudi, en sentant que tu la passes agréablement, entouré d’une société d’élite, au milieu de cet enchantement des arts que nos barbares du jour veulent aussi anéantir. Je sais que M. Visconti est à Rome une très précieuse connaissance, sous le rapport du savoir, de l’art et du goût, et je bénis tout bas le général Mollière de t’avoir donné l’occasion d’en profiter.