Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/413

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dans ses grandes manifestations artistiques et religieuses. C’est par là, et non certes par les pauvres hommes que j’avais sous les yeux, que Rome m’a séduit. C’est par là que Naples m’a déplu. La religion et l’art de Naples dépassent tout ce qu’on peut imaginer en fait de ridicule et de mauvais goût. Au nom du ciel, ne vois en ceci aucune récrimination voltairienne, aucune mauvaise humeur de philosophe. Je ne fais que constater un fait : les manifestations religieuses de Rome plaisent, touchent, élèvent, lors même qu’on les regarde du dehors ; je t’affirme que celles de Naples ne sauraient exciter que le rire, lorsqu’elles n’excitent pas le dégoût.

Le culte populaire de Rome est vrai, naïf, plein de haute moralité ; que de choses charmantes j’ai vues à notre chère église de l’Ara Cœli le jour de Noël ! l’église comme au Moyen Age, lieu de réunion populaire, chacun y faisant son ménage, les moines grommelant au milieu de tout ce tintamarre, des mystères à la manière ancienne, sortes de dialogues récités et en partie improvisés par des enfants du peuple avec une inimitable vérité, et par-dessus tout la célèbre crèche qui attire tant de pèlerins émerveillés, de toutes parts : Ecco la madonna ! Ecco’l bambino ! O ch’è bello ! Enfin cet accent populaire et de naïve moralité qui fait la beauté religieuse. Mais ici, chère amie, rien de tout cela. Pas un instinct moral ! La religion n’est que la superstition pure, l’expression de la crainte ou de l’intérêt. D’abord, il n’y a pas de Dieu pour ce