Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veilles des religions, de l’autre les plus odieux excès. Ce peuple, que j’avais vu hideux dans l’expression de son enthousiasme irrationnel, je l’ai trouvé plein de grâce, d’invention, de verve, d’entrain dans ses réjouissances. Tu connais sans doute les fêtes romaines, tu as dû être frappée du prodigieux talent de ce peuple pour l’ornementation, et de l’étonnante variété de moyens qu’il sait se créer pour cela. Les trois soirées qu’ont duré ces fêtes, ont été pour moi des plus agréables et bien fécondes en observations morales. Le Borgo surtout, avec ses illuminations a giorno, ses orchestres ambulants, ses chanteurs populaires improvisant en l’honneur de Pie IX, ses restaurants de feuillage en plein vent, en l’on va s’attabler, ses chœurs dans les boutiques et au coin des rues devant la Madone, offrait un spectacle unique. Mazzini n’a rien à faire ici pour le quart d’heure ; il peut se consoler en songeant que ses fêtes étaient tout aussi brillantes : des réactionnaires m’ont avoué que l’enthousiasme qui salua la révolution égalait au moins celui-ci. Bien que l’habileté ne soit plus l’apanage de la cour romaine, ils sont pourtant assez sages pour ne pas faire grand fond sur toutes ces démonstrations. Si dans un mois, Pie IX, victime d’une révolution, subissait (hypothèse affreuse et heureusement impossible !)le sort de l’infortuné Louis XVI, ce peuple le regarderait passer, et l’insulterait. Évidemment il n’est question pour ces gens que de trouver une occasion à fanatisme, n’importe