Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/93

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nement de ma vie littéraire a fait en moi de trop vives impressions pour que je l’oublie de sitôt

Oui, chère amie, j’éprouve une bien vive satisfaction, bien moins pour un succès que je n’apprécie pas au delà de ce qu’il vaut que pour l’approbation donnée à mes vues par des hommes compétents et habiles, et surtout pour avoir déjà fait et terminé quelque chose. Tu me croiras, chère amie, quand je t’assurerai que j’éprouvai une satisfaction bien plus vive encore que celle que m’a procurée le succès, au moment où le 15 mars, à trois heures du matin, j’écrivis les derniers mots de ce travail, pour lequel j’avais dû surmonter tant de mouvements de doute, d’hésitation, de défiance. L’exercice moral que cela m’a donné vaut bien mieux que les avantages qui peuvent résulter du succès. Quand je pense que ces lignes, je les ai tracées les doigts gelés, et désespérant presque du succès, ici, dans cette froide et triste chambre, n’étant encouragé de personne, si ce n’est de mon pauvre ami Berthelot, qui venait de temps en temps me demander à quelle page j’en étais, lire ce que j’écrivais, et m’apporter les tisanes qu’il me préparait, je me félicite d’avoir été capable de ne pas abandonner une œuvre une fois entreprise, et de la pousser à bout, malgré tout, malgré moi-même. Le souvenir de tout cela est ma vraie jouissance, la seule à laquelle j’attache quelque prix.

Tu avais fort bien deviné, chère amie, en supposant que sémitiques venait de Sem. C’est une