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Page:Renan - Qu’est-ce qu’une nation ?.djvu/21

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Allemands, qui ont élevé si haut le drapeau de l’ethnographie, ne verront pas les Slaves venir analyser, à leur tour, les noms des villages de la Saxe et de la Lusace, rechercher les traces des Wiltzes ou des Obotrites, et demander compte des massacres et des ventes en masse que les Othons firent de leurs aïeux ? Pour tous il est bon de savoir oublier.

J’aime beaucoup l’ethnographie ; c’est une science d’un rare intérêt ; mais, comme je la veux libre, je la veux sans application politique. En ethnographie, comme dans toutes les études, les systèmes changent ; c’est la condition du progrès. Les nations changeraient donc aussi avec les systèmes ? Les limites des États suivraient les fluctuations de la science. Le patriotisme dépendrait d’une dissertation plus ou moins paradoxale. On viendrait dire au patriote : « Vous vous trompiez ; vous versiez votre sang pour telle ou telle cause ; vous croyiez être Celte ; non, vous êtes Germain ». Puis, dix ans après, on viendra vous dire que vous êtes Slave. Pour ne pas fausser la science, dispensons-la de donner un avis dans ces problèmes, où sont engagés tant d’intérêts. Soyez sûrs que, si on la charge de fournir des éléments à la diplomatie, on la surprendra bien des fois en flagrant délit de complaisance. Elle a mieux à faire : demandons-lui tout simplement la vérité.

II. ― Ce que nous venons de dire de la race, il faut le dire de la langue. La langue invite à se