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Page:Renan - Qu’est-ce qu’une nation ?.djvu/8

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distinction absolue des hommes d’après la religion, ne peut plus se produire. La seconde circonstance fut, de la part des conquérants, l’oubli de leur propre langue. Les petits-fils de Clovis, d’Alaric, de Gondebaud, d’Alboin, de Rollon, parlaient déjà roman. Ce fait était lui-même la conséquence d’une autre particularité importante : c’est que les Francs, les Burgondes, les Goths, les Lombards, les Normands, avaient avec eux très peu de femmes de leur race. Pendant plusieurs générations, les chefs ne se marient qu’avec des femmes germaines ; mais leurs concubines sont latines, les nourrices des enfants sont latines ; toute la tribu épouse des femmes latines ; ce qui fit que la lingua francica, la lingua gothica n’eurent, depuis l’établissement des Francs et des Goths en terres romaines, que de très courtes destinées. Il n’en fut pas ainsi en Angleterre ; car l’invasion anglo-saxonne avait sans doute des femmes avec elle ; la population bretonne s’enfuit, et, d’ailleurs, le latin n’était plus ou, même, ne fut jamais dominant dans la Bretagne. Si on eût généralement parlé gaulois dans la Gaule, au ve siècle, Clovis et les siens n’eussent pas abandonné le germanique pour le gaulois.

De là ce fait capital que, malgré l’extrême violence des mœurs des envahisseurs germains, le moule qu’ils imposèrent devint, avec les siècles, le moule même de la nation. France devint très légitimement le nom d’un pays où il n’était entré