Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/101

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encore : « Salut, étoile de la mer,… reine de ceux qui gémissent en cette vallée de larmes », ou bien : « Rose mystique, Tour d’ivoire, Maison d’or, Étoile du matin… » Tiens, déesse, quand je me rappelle ces chants, mon cœur se fond, je deviens presque apostat. Pardonne-moi ce ridicule ; tu ne peux te figurer le charme que les magiciens barbares ont mis dans ces vers, et combien il m’en coûte de suivre la raison toute nue.

» Et puis si tu savais combien il est devenu difficile de te servir ! Toute noblesse a disparu. Les Scythes ont conquis le monde. Il n’y a plus de république d’hommes libres ; il n’y a plus que des rois issus d’un sang lourd, des majestés dont tu sourirais. De pesants Hyperboréens appellent légers ceux qui te servent… Une pambéotie redoutable, une ligue de toutes les sottises, étend sur le monde un couvercle de plomb, sous lequel on étouffe. Même ceux qui t’honorent, qu’ils doivent te faire pitié ! Te souviens-tu de ce Calédonien qui, il y a cinquante ans, brisa ton temple à coups de marteau pour l’emporter à Thulé ?