Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/106

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ce qui ne te touche pas ; je me ferai le serviteur du dernier de tes fils. Les habitants actuels de la terre que tu donnas à Érechthée, je les exalterai, je les flatterai. J’essayerai d’aimer jusqu’à leurs défauts ; je me persuaderai, ô Hippia, qu’ils descendent des cavaliers qui célèbrent là-haut, sur le marbre de ta frise, leur fête éternelle. J’arracherai de mon cœur toute fibre qui n’est pas raison et art pur. Je cesserai d’aimer mes maladies, de me complaire en ma fièvre. Soutiens mon ferme propos, ô Salutaire ; aide-moi, toi qui sauves !

» Que de difficultés, en effet, je prévois ! que d’habitudes d’esprit j’aurai à changer ! que de souvenirs charmants je devrai arracher de mon cœur ! J’essayerai ; mais je ne suis pas sûr de moi. Tard je t’ai connue, beauté parfaite. J’aurai des retours, des faiblesses. Une philosophie, perverse sans doute, m’a porté à croire que le bien et le mal, le plaisir et la douleur, le beau et le laid, la raison et la folie se transforment les uns dans les autres par des nuances aussi indiscernables que celles du cou de la colombe. Ne rien aimer, ne rien haïr