Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/124

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exercé. Le paganisme se dégageait derrière la couche chrétienne, souvent fort transparente. À cela se mêlaient des traits d’un monde plus vieux encore, que j’ai retrouvés chez les Lapons. En visitant, en 1870, avec le prince Napoléon, les huttes d’un campement de Lapons, près de Tromsoe, je crus plus d’une fois, dans des types de femmes et d’enfants, dans certains traits, dans certaines habitudes, voir ressusciter devant moi mes plus anciens souvenirs. L’idée me vint que, dans les temps antiques, il put y avoir des mélanges entre des branches perdues de la race celtique et les races analogues aux lapons qui couvraient le sol à leur arrivée. Ma formule ethnique serait de la sorte : « Un Celte, mêlé de Gascon, mâtiné de Lapon. » Une telle formule devrait, je crois, représenter, d’après les théories des anthropologistes, le comble du crétinisme et de l’imbécillité ; mais ce que l’anthropologie traite de stupidité chez les vieilles races incomplètes n’est souvent qu’une force extraordinaire d’enthousiasme et d’intuition.