Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/130

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avez connus étaient aussi réfractaires à la fortune que ceux que j’ai connus moi-même ?

― Tous pauvres comme Job, me répondit-elle. à quoi penses-tu donc ? Comment veux-tu qu’il en fût autrement ? Aucun d’eux ne naquit riche et aucun d’eux n’a pillé ni rançonné personne. En ce temps-là, il n’y avait de riches que le clergé et les nobles. Il y a pourtant une exception, c’est Z…, qui est devenu millionnaire. Ah ! celui-là est un homme considéré, bien établi dans le monde, presque un député, susceptible au moins de l’être.

― Comment donc Z… a-t-il fait une fortune considérable, quand tous autour de lui sont restés pauvres ?

― Je ne peux pas te dire cela… Il y a des gens qui naissent pour être riches, d’autres qui ne le seront jamais. Il faut avoir des griffes, se servir le premier. Or c’est ce que nous n’avons jamais su faire. Dès qu’il s’agit de prendre la meilleure portion sur le plat qui passe, notre politesse naturelle s’y oppose. Aucun de tes ascendants n’a gagné d’argent. Ils n’ont rien pris à la masse, n’ont pas appau-