Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/141

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avait fait une vive impression, elle ne récitait jamais le beau vers prononcé par les mères :

De nos yeux maternels ne craignez point les larmes…


sans que sa voix fût émue. Ces grandes et terribles scènes avaient laissé en elle une empreinte ineffaçable. Quand elle s’égarait en ces souvenirs, indissolublement liés à l’éveil de sa première jeunesse, quand elle se rappelait tant d’enthousiasmes, tant de joies folles, qui alternaient avec les scènes de terreur, sa vie semblait renaître tout entière. J’ai pris d’elle un goût invincible de la Révolution, qui me la fait aimer malgré ma raison et malgré tout le mal que j’ai dit d’elle. Je n’efface rien de ce que j’ai dit ; mais, depuis que je vois l’espèce de rage avec laquelle des écrivains étrangers cherchent à prouver que la Révolution française n’a été que honte, folie, et qu’elle constitue un fait sans importance dans l’histoire du monde, je commence à croire que c’est peut-être ce que nous avons fait de mieux, puisqu’on en est si jaloux.