Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/152

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sidentes. Elle était sceptique sur l’issue de mes tentatives. « Ernest, me disait-elle, vous ne réussirez pas : vous voulez mettre tout le monde d’accord. » Cette enfantine collaboration pacifique, qui nous attribuait une imperceptible supériorité sur les autres, établissait entre nous un petit lien très doux. Maintenant encore, je ne peux pas entendre chanter : Nous n’irons plus au bois, ou Il pleut, il pleut, bergère, sans être pris d’un léger tressaillement de cœur… certainement, sans l’étau fatal qui m’enserrait, j’eusse aimé Noémi deux ou trois ans après ; mais j’étais voué au raisonnement ; la dialectique religieuse m’occupait déjà tout entier. Le flot d’abstractions qui me montait à la tête m’étourdissait et me rendait, pour tout le reste, absent et distrait.

Un singulier défaut, d’ailleurs, qui plus d’une fois dans la vie devait me nuire, traversa cette affection naissante et la fit dévier. Mon indécision est cause que je me laisse facilement amener à des situations contradictoires, dont je ne sais pas trancher le nœud.