Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/182

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côté, je n’aspirais qu’à être curé de campagne ou professeur de séminaire, il y avait en moi un songeur. Durant les offices, je tombais dans de véritables rêves ; mon œil errait aux voûtes de la chapelle ; j’y lisais je ne sais quoi ; je pensais à la célébrité des grands hommes dont parlent les livres. Un jour (j’avais six ans), je jouais avec un de mes cousins et avec d’autres camarades ; nous nous amusions à choisir notre état pour l’avenir : ― « Et toi, qu’est-ce que tu seras ? me demanda mon cousin. ― Moi, répondis-je, je ferai des livres. ― Ah ! tu veux être libraire ? ― Oh ! non, dis-je, je veux faire des livres, en composer. »

Pour se développer, ces dispositions à l’éveil avaient besoin de temps et de circonstances favorables. Ce qui manquait totalement autour de moi, c’était le talent. Mes vertueux maîtres n’avaient rien de ce qui séduit. Avec leur solidité morale inébranlable, ils étaient en tout le contraire de l’homme du Midi, du Napolitain, par exemple, pour qui tout brille et tout sonne. Les idées ne se choquaient pas