Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/283

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changeait trop vite et que, pour la juger, il fallait attendre qu’elle eût achevé son développement. « L’Écosse rassérène, me disait-il, et conduit au christianisme ; » et il me montrait ce bon Thomas Reid à la fois philosophe et ministre du saint évangile. Reid fut de la sorte longtemps mon idéal ; mon rêve eût été la vie paisible d’un ecclésiastique laborieux, attaché à ses devoirs, dispensé du ministère ordinaire pour ses recherches. La contradiction des travaux philosophiques ainsi entendus avec la foi chrétienne ne m’apparaissait point encore avec le degré de clarté qui bientôt ne devait laisser à mon esprit aucun choix entre l’abandon du christianisme et l’inconséquence la plus inavouable.

Les écrits de la philosophie moderne, en particulier ceux de MM. Cousin et Jouffroy, n’entraient guère au séminaire. On ne parlait pourtant pas d’autre chose, par suite des vives polémiques que ces écrits provoquaient alors de la part du clergé. C’était l’année de la mort de M. Jouffroy. Les belles pages de ce désespéré de la philosophie nous enivraient ;