Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/373

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consciences un petit gouffre égoïste comme le trou conique du formica-leo. Habitués à nous regarder très peu nous-mêmes, nous nous regardions très peu l’un l’autre. Notre amitié consista en ce que nous nous apprenions mutuellement, en une sorte de commune fermentation qu’une remarquable conformité d’organisation intellectuelle produisait en nous devant les mêmes objets. Ce que nous avions vu à deux nous paraissait certain. Quand nous entrâmes en rapports, il me restait un attachement tendre pour le christianisme ; Berthelot tenait aussi de son père un reste de croyances chrétiennes. Quelques mois suffirent pour reléguer ces vestiges de foi dans la partie de nos âmes consacrée aux souvenirs. L’affirmation que tout est d’une même couleur dans le monde, qu’il n’y a pas de surnaturel particulier ni de révélation momentanée, s’imposa d’une façon absolue à notre esprit. La claire vue scientifique d’un univers où n’agit d’une façon appréciable aucune volonté libre supérieure à celle de l’homme devint, depuis les premiers mois