Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/49

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jeunesse. Ces prédications avaient quelque chose de solennel qui m’étonnait. Les traits s’en sont empreints si profondément dans mon cerveau, que je ne me les rappelle pas sans une sorte de terreur. Tantôt c’était l’exemple de Jonathas mourant pour avoir mangé un peu de miel : Gustans gustavi paululum mellis, et ecce morior. cela me faisait faire des réflexions sans fin. Qu’était-ce que ce peu de miel qui fait mourir ? Le prédicateur se gardait de le dire, et accentuait son effet par ces mots mystérieux : Tetigisse periisse, dits d’un ton profond et larmoyant. D’autres fois, le texte était ce passage de Jérémie : Mors ascendit per fenestras, qui m’intriguait encore beaucoup plus. Cette mort qui monte par les fenêtres, ces ailes de papillon que l’on souille dès qu’on les touche, qu’est-ce que cela pouvait être ? Le prédicateur, en parlant ainsi, avait le front plissé, le regard au ciel. Ce qui mettait le comble à mes préoccupations était un endroit de la Vie de je ne sais quel saint personnage du xviie siècle, lequel comparait les femmes à des armes à feu qui