Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/312

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lut[1]. Tous les dédaignés du judaïsme orthodoxe étaient ses préférés. L’amour du peuple, la pitié pour son impuissance, le sentiment du chef démocratique, qui sent vivre en lui l’esprit de la foule et se reconnaît pour son interprète naturel, éclatent à chaque instant dans ses actes et ses discours[2].

La troupe élue présentait, en effet, un caractère fort mêlé et dont les rigoristes devaient être très-surpris. Elle comptait dans son sein des gens qu’un juif qui se respectait n’eût pas fréquentés[3]. Peut-être Jésus trouvait-il dans cette société en dehors des règles communes plus de distinction et de cœur que dans une bourgeoisie pédante, formaliste, orgueilleuse de son apparente moralité. Les pharisiens, exagérant les prescriptions mosaïques, en étaient venus à se croire souillés par le contact des gens moins sévères qu’eux ; on touchait presque pour les repas aux puériles distinctions des castes de l’Inde. Méprisant ces misérables aberrations du sentiment religieux, Jésus aimait à dîner chez ceux qui en étaient les victimes[4] ; on voyait à côté de lui des personnes que l’on disait de mauvaise vie, peut-être pour cela seul,

  1. Matth., x, 23 ; xi, 5 ; Luc, vi, 20-21.
  2. Matth., ix, 36 ; Marc, vi, 34.
  3. Matth., ix, 10 et suiv. ; Luc, xv entier.
  4. Matth., ix, 11 ; Marc, ii, 16 ; Luc, v, 30.